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Paru dans Scolaire le mardi 29 novembre 2020.


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André Antibi : un livre parce que "donner du sens" peut n'avoir "aucun sens", et contre les modes en pédagogie

Paru dans Scolaire le dimanche 29 novembre 2020.

"L’expression 'donner du sens' n’a trop souvent aucun sens." C'est l'un des constats qui fondent la démarche d'André Antibi. Ce mathématicien, à l'origine du combat contre "la constante macabre" (qui veut que dans une classe, même excellente, les notes se répartissent selon une courbe de Gauss et désignent ainsi de "mauvais" élèves) et pour une "évaluation par contrat de confiance" (les élèves ne sont interrogés que sur ce qu'ils ont appris, et sans piège), publie "Les élèves oubliés, ou Comment compliquer pour donner du sens". 

Il entend ainsi "mettre l’accent sur un dysfonctionnement général de notre système éducatif" et qu'il voit comme un effet de mode: "Donner du sens à tout prix, faire en sorte que l’élève découvre par lui-même les notions qui lui sont enseignées. Cet objectif peut paraître louable, mais en réalité ce n’est pas si simple. Cela conduit souvent à compliquer les notions enseignées."

Il en donne plusieurs exemples, relevés dans des manuels. Ainsi du chapitre consacré à l'Union européenne en 3ème qui commence par six pages de photos, dont celles des bâtiments de l’Union européenne et des cartes avant "une page de cours", "le fait de commencer par des activités sur l’Union européenne sans savoir de quoi il s’agit ne peut qu’embrouiller les élèves, surtout ceux qui n’en ont jamais entendu parler, c’est souvent le cas des élèves de milieu défavorisé". Autre exemple, toujours en 3ème, un cours sur l'énergie cinétique qui commence par "6 pages d’activités, de documents avec photos de TGV, de voitures de course, d’accidents de voitures, avec de nombreuses questions, distance d’arrêt d’un véhicule,…", et l'auteur commente : "Je ne comprends pas l’intérêt de commencer par des activités qui auraient toute leur place après avoir donné les définitions de l’énergie cinétique et des autres notions qui interviennent dans le chapitre." De même, faut-il commencer un cours de géométrie sur les polygones par une vue aérienne du Pentagone aux USA ou par une carte de France (dont la forme hexagonale n'est pas évidente) ?

Il ne s'agit pas de dénoncer "l’idée de donner du sens aux concepts et contenus enseignés, mais les dérives et exagérations qu’elle a entraînées", quand "le périphérique prend le pas sur l’essentiel", ce qui "pénalise surtout les élèves en difficulté".

Il ne faudrait donc pas chercher systématiquement à introduire une notion "par une situation artificielle et trop souvent éloignée des centres d’intérêt de l’élève". Mais ne risque-t-on pas, à l'inverse, de demander aux élèves d'apprendre par coeur sans comprendre ? Et alors ? semble dire André Antibi. Il n'y a parfois "rien à comprendre". Pourquoi le prétérit du verbe anglais to eat est-il ate ? Etudier son évolution phonologique au Moyen-âge "pourrait être intéressant pour un linguiste à l’Université, mais beaucoup moins pour un élève de collège". "Dans certains cas, il faut savoir accepter certaines notions sans essayer de comprendre, car il n’y a rien à comprendre. Il s’agit par exemple de conventions, de certaines définitions, de symboles, de notations (...). Dans certains cas, je suis convaincu qu’il est beaucoup plus utile d’apprendre par coeur et d’être capable de restituer sans hésiter." C'est évidemment le cas des tables de multiplication.

Ne risque-t-on pas de décourager les élèves ? Non, "ce qui motive le plus, c’est la réussite. Toutes les enquêtes montrent que dans le cadre de l’EPCC (évaluation par contrat de confiance), les élèves sont plus motivés et travaillent beaucoup plus, car leur travail est récompensé ; ils sont en situation de réussite (...), les
élèves sont motivés lorsque le contrat qu’on leur propose est clair."

Et surtout, d'où vient cette mode ? N'est-elle pas le fait d'une hiérarchie coupée des réalités du terrain, qui n'écoute pas les enseignants ? Tout laisse à penser pourtant "que les professeurs ont un avis très pertinent sur d’éventuelles initiatives concernant leur enseignement. Il est donc déplorable de ne pas impliquer beaucoup plus fortement l’ensemble du corps enseignant dans les prises de décisions qui le concernent directement. Il y a là un manque de confiance très regrettable, d’autant plus regrettable d’ailleurs que les professeurs sont tout à fait disposés à évoluer lorsqu’ils n’ont pas l’impression d’être mis devant le fait accompli, sans avoir été consultés."

"Les élèves oubliés, ou Comment compliquer pour donner du sens", 112 p., 15€, mise en vente le 3 décembre (voir aussi ToutEduc ici).