Un
an presque jour pour jour après le décès de son charismatique
fondateur, André Antibi, ToutEduc a voulu savoir où en était le MCLCM,
le Mouvement contre la constante macabre. Gérard Lauton, maître de
conférences et chargé de mission honoraire à l'Université Paris-Est
Créteil (UPEC), en assure la présidence.
ToutEduc : Où se situe actuellement le mouvement pour la constante macabre, comment évolue votre projet ?
Gérard Lauton
: Pour rappel, la constante macabre est cette “figure imposée“ dans les
pratiques des enseignants, qui veut que le résultat d'un examen
comporte une part notable de mauvais résultats. Mon ami André Antibi,
le fondateur du mouvement qui l'a mise en relief et combattue, évoquait
un problème d’ordre culturel, un phénomène de société.
Aujourd'hui 60 organisations très diverses, ont apporté leur soutien à
notre démarche qui vise une évaluation plus juste. Notre projet pour y
parvenir passe par des modalités conçues pour s’affranchir de la
constante macabre. C’est le cas de l’évaluation par contrat de
confiance (EPCC) qui repose sur un protocole : au lieu que les attendus
d'un contrôle en temps limité ˮtombentˮ d'en haut, une phase
interactive se déroule 8 à 10 jours avant. L'enseignant fournit aux
élèves une liste d'éléments qui constituent un périmètre de révision,
composé d’exercices traités et corrigés en cours. Il s'engage à ce
qu’environ les trois quarts du sujet de l’épreuve soient pris dans ce
périmètre. De plus, il accompagne les élèves en amont du contrôle. Pour
cela, il organise une séance de questions-réponses ou des échanges à
distance en vue de gommer les incompréhensions qui s'expriment sur des
exercices de la liste. Dès lors les élèves ne sont pas stressés, car
ils ont une idée de ce qui sera posé, ils s’y sont entraînés et ont une
chance de bien réussir.
J’ajoute que ce protocole n'est pas une recette gravée dans le marbre,
intangible telle un vademecum. Car il prend tout son sens en étant
adapté au contexte : secteur scolaire, profil de la classe, matière
concernée, territoire de l’établissement, … Des liens peuvent aussi
s’établir entre ce protocole et les autres innovations pédagogiques
comme la classe inversée, l’évaluation par les pairs ou en mode
numérique. Mais surtout, il s'agit de contextualiser le protocole, de
l'enrichir, de l’assortir de variantes en gardant le cap sur la
confiance, de promouvoir aussi la modalité du projet encadré. Un autre
axe que nous souhaitons travailler est de ne pas considérer
l'évaluation (formative/sommative) comme une activité à part, mais
d’approfondir les synergies positives entre apprentissages et
évaluation, au bénéfice de la motivation et du climat scolaire.
ToutEduc : Quelle est votre relation actuelle avec l'institution ?
Gérard Lauton : Nous
sommes en contact depuis 2002 avec les ministres de l'éducation qui ont
tous apporté leur soutien explicite à notre démarche. Actuellement,
nous avons une relation contractuelle avec la direction générale de
l’Enseignement scolaire (DGESCO). Ce partenariat est fondé sur une
convention annuelle MCLCM - MENJ, bureau de l'innovation pédagogique)
(ici) . Elle mentionne nos axes de travail visant l'innovation :
chacune de nos équipes, dans les académies, formule en début d'année
scolaire un projet de recherche-action (étude d'impact, témoignages, …)
à propos des pratiques en classe, et de la façon de les faire évoluer
pour améliorer motivation et acquisitions.
Cette année, la demande a pris un tour plus exigeant sur le plan des
“livrables“. Ainsi, nos équipes réalisent des clips vidéo pour montrer
comment élèves, enseignants et familles envisagent et vivent le contrat
de confiance, comment ils le ressentent. À Rodez ou à Rouen, un sondage
à grande échelle est réalisé dans le 1er degré sur les pratiques en
classe et sur l’intérêt pour les professeurs d’avoir un recul critique
sur leurs pratiques et de les faire évoluer. En contrepartie, le
ministère octroie des contingents d'heures de travail, afin que les
intervenants soient dédommagés pour leur investissement.
ToutEduc : Votre démarche
concernant l'évaluation est-elle intégrée dans les processus de
formation initiale et continue des enseignants ?
Gérard Lauton : Dans le
plan académique de formation (PAF) de certaines académies, il y a des
sessions formulées autour de la démarche de l'EPCC. Nous militons pour
que dans les formations des enseignants, l'évaluation ait beaucoup plus
d'importance qu'aujourd'hui. Nous comptons pour cela sur le soutien des
acteurs des INSPE (maîtres-formateurs, directeurs, …). Une démarche
inter-partenaires peut concourir à faire partager à grande échelle le
projet d’une évaluation plus juste. Un autre axe de travail porte sur
la motivation : comment faire que l’élève trouve un sens dans les
contenus enseignés, comment faire évoluer leurs modes de présentation
en classe ? Cela passe par des échanges avec les acteurs concernés
(niveau scolaire, discipline, contexte social).
Nous avons pris contact avec des organismes comme “Le choix de
l'école“, une association soutenue par le ministère, qui convertit aux
métiers de l'enseignement des salariés d'autres secteurs en leur
délivrant des sessions de formation. Elle nous a invités à son prochain
campus d'été pour y exposer notre démarche. Et le think tank “Éducation
au cœur“ vient à son tour de signer l’Appel du MCLCM.
ToutEduc : Avec la mise
en place du contrôle continu pour l'obtention du baccalauréat, et la
compétition qu'impose Parcoursup, le combat pour une évaluation plus
juste et sereine n'est-il pas perdu ?
Gérard Lauton : Il y a eu
beaucoup d'échanges avec les partenaires du système éducatif lors de la
réforme du bac. Nous souhaitions un cadrage des E3C (épreuves communes
de contrôle continu, ndlr), voire un protocole du type EPCC par
académie avec des listes ouvertes de questions pouvant être posées,
donc un périmètre de révision partagé, dans un esprit d’équité.
Mais la pandémie de covid-19 a bousculé ces dispositions, et les
épreuves communes ont été abandonnées au profit d’un contrôle continu
en classe. D’où un risque d'hétérogénéité et de disparité (classes,
établissements), de balkanisation (pratiques, résultats). Ce risque est
réel aujourd’hui, et seul un cadrage approprié peut faire converger les
pratiques. D’où l’initiative ministérielle d’instances de concertation
et d’harmonisation. Le MCLCM peut y contribuer, avec son expérience
d’épreuves composées à partir d’une banque de sujets. Tout en sachant
que certains enseignants n’aiment guère que des dispositions cadrent
leurs prérogatives sur l’évaluation en classe …
Sans un cadrage suffisant, il y a des stratégies de contournement, des
échelles de difficulté et de notes tantôt à la hausse, tantôt à la
baisse, faussant les termes de l’orientation vers le postbac. Des
parades doivent pouvoir être trouvées dans l’échange entre la
communauté éducative et les deux ministères (MENJ - MESR), en vue d’une
sortie par le haut.
S’agissant de Parcoursup, des avancées passent aussi par la manière
dont on accueille les bacheliers dans le supérieur (Gérard Lauton a
exercé à l'UPEC, ndlr). Il faut partir du lycéen tel qu'il arrive dans
le postbac, et c’est à ses acteurs de lui indiquer des voies lui
permettant de suivre avec profit le cursus conforme à son projet. La
question de l’accueil et de l’orientation à l’université est
primordiale : entretiens avec l’étudiant, accompagnement dans
l’ajustement de son projet, création dans une même licence de parcours
adaptés aux différents profils de bacheliers. Cela va aussi de pair
avec une évaluation plus juste dans le postbac. Ce sont des choix que
j’ai eu l’honneur de faire prévaloir à l’UPEC.
Sur le MCLCM, voir notamment ToutEduc ici, ici, ici, ici...