Pap Ndiaye invite le MCLCM, le mouvement contre la constante macabre, "à continuer l'oeuvre d'André Antibi". Le mathématicien, décédé le 20 mai dernier a mis en évidence "la constante macabre"
: les notes des élèves d'une classe se répartissent toujours, peu ou
prou, selon une courbe de Gauss, et il faut des mauvaises notes pour
que les bonnes aient un sens. Autrement dit, même dans une très bonne
classe, on fabrique artificiellement de mauvais élèves. Le ministre de
l'Education nationale a chargé l'inspecteur général Jean-Charles
Ringard d'inviter ses amis à "prolonger son oeuvre".
Le mouvement avait en effet organisé, ce vendredi 2 décembre, son
colloque qui était aussi un moment de communion et d'hommage à cet
homme de conviction.
Invité surprise, Jean-Michel Blanquer est venu dire l'estime et
l'amitié qu'il avait pour lui. L'ancien ministre était au bord des
larmes et son émotion l'a longuement empêché de parler. Il se souvenait
qu'il l'avait rencontré en 2010 alors qu'il était DGESCO et que son
propos avait influé sur la circulaire de rentrée et sur le rôle donné
aux CARDIE (cellules académiques recherche, développement, innovation,
expérimentation). Ceux-ci devaient encourager les enseignants à passer
à "l'évaluation par contrat de confiance"
: les élèves savent quand ils seront interrogés et sur quoi ils le
seront, les exercices ayant déjà été donnés et corrigés en classe.
Evidemment accusé de laxisme, André Antibi et les premiers enseignants
expérimentateurs ont montré que les élèves, effectivement encouragés à
travailler, puisque certains que leur travail serait récompensés,
avaient d'excellentes notes tout le long de l'année, mais aussi le jour
de l'examen. Jean-Michel Blanquer était séduit, mais considérait,
a-t-il rappelé, qu'il faudrait "une lente maturation" avant que cette proposition puisse être acceptée par une majorité d'enseignants.
Bien qu'ils soient encore loin d'être majoritaires, le nombre de ceux
qui étaient convaincus n'a cessé d'augmenter, André Antibi multipliant
les rencontres et les conférences. Les témoignages se sont succédé pour
dire combien il était "convaincu et convainquant",
souvent drôle, encourageant les enseignants à créer des associations
locales pour échanger sur leurs pratiques, les résistances qu'ils
rencontrent, les difficultés auxquelles ils se heurtent. Car il est
clair, ont estimé tous les intervenants, que les pratiques d'évaluation
conditionnent les apprentissages, et qu'y toucher ébranle tout le
système scolaire.
François Taddei (Learning Planet Institute) dénonce "la tyrannie de la méritocratie", la compétition permanente, qui détruit confiance en soi et confiance dans les autres, dans les élites, et qui fait courir "de graves risques"
à la démocratie. Mais la confiance ne se décrète pas dans un système
scolaire et social fondé sur la concurrence. Sylvie Plane, ancienne
vice-présidente du Conseil supérieur des programmes, fait remarquer que
c'est dès la maternelle que les pressions s'exercent, parce que l'on
utilise les standards de développement des compétences des élèves
nécessaires au pilotage du système scolaire pour le pilotage de la
classe, aux dépens de la singularité des enfants, et que l'on incite
les enseignants à travailler sur des compétences considérées comme
prédictives des réussites futures, sans penser à leur articulation et à
leur utilisation hors contexte scolaire. Jérôme Daydé, chef de projet à
la Fondation des étudiants de France, qui accueille notamment des
lycéens malades, ou suicidaires, évoque le profils de certains jeunes
qui dès la maternelle, sont psychologiquement détruits, ayant perdu
confiance en l'adulte comme en eux-mêmes. Nathalie Sayac, directrice de
l'INSPE de Normandie, invite à faire la différence entre un climat de
vraie confiance et la confiance obligée. Elle a cette formule : "l'évaluation relève de l'intime",
elle met en jeu chez l'enseignant des ressorts très profonds. Et
Roger-François Gauthier va plus loin. Les évaluations masquent mal
notre "indifférence à l'égard des savoirs".
Une fois la moyenne faite en fin d'année, on oublie les mauvaises
notes, les savoirs non acquis, on ne se souvient que du chiffre final.
C'est contre tout cela qu'André Antibi s'est battu depuis qu'un jour de
2003, il a compris en mathématicien, d'où venait son malaise en tant
qu'enseignant à SupAero, et depuis, il n'avait cessé de lutter contre "la folie de l'évaluation", il avait notamment reçu en 2009 le soutien du ministre Xavier Darcos (voir ToutEduc ici, ici, ici)
et de tous les ministres et de l'administration de l'Education
nationale (pour Vincent Peillon, mais aussi les associations de
parents, les syndicats et les mouvements pédagogiques ici, pour la DGESCO ici, Benoît Hamon ici, Najat Vallaud-Belkacem ici).
Musicien, André Antibi avait lancé un autre combat, une méthode simple
pour s'accompagner au piano et lui-même avait écrit de nombreuses
chansons, y compris à la gloire du Stade toulousain dont il a été
vice-président.
ToutEduc a suivi André Antibi depuis sa création en 2009; des dépêches à retrouver avec notre moteur de recherche.